Quand la solidarité s'éloigne : retour sur une soirée-table ronde pour repenser l’accès aux droits
Le Secours Catholique a publié le jeudi 14 novembre dernier son rapport statistique annuel État de la pauvreté en France, intitulé : « Prestations sociales : quand la solidarité s'éloigne ». Pour son rapport 2024, l’association alerte sur la dégradation du niveau de vie des plus pauvres et la difficulté à accéder à la protection sociale face à la dématérialisation des démarches administratives.
A cette occasion, la délégation du Secours Catholique d’Ille-et-Vilaine a souhaité mettre en lumière cette question à travers une table-ronde et donner ainsi la parole à des partenaires, à des associations et des institutions locales qui œuvrent pour lutter contre le non-recours aux droits.
Le 14 novembre a été présenté à la Maison de Quartier de Villejean, devant les 70 personnes présentes pour l’occasion, les chiffres-clés du rapport et les témoignages des associations invitées. Cette soirée a été également ponctuée par les interventions drôles et poétiques de Catherine et de la Clowne Victoire.
Le rapport du Secours Catholique s’appuie sur l’analyse statistique de 60 000 fiches, récoltées tout au long de l’année par ses bénévoles. Ces fiches reflètent les situations des personnes accompagnées et rencontrées dans le cadre des diverses activités menées par l’organisation : aides matérielle et financière, activités convivialité et autres actions solidaires. Ce recueil, depuis plus de trente années, montre l’évolution de la pauvreté, de ses causes et de son impact.
Véronique Aulnette, déléguée départementale, a rappelé qu’un peu plus d’un million de personnes ont été rencontrées cette année à l'échelle nationale, dont 10 100 personnes en IIle-et-Vilaine.
Quand on commence à dégrader l’accès aux droits pour certains, cela finit par concerner tout le monde.
Près d'une personne accueillie sur 2 est une femme (contre 57% à l'échelle nationale ; un chiffre en constante augmentation). Un quart d'entre elles sont des mères isolées ;
Au niveau national 50% des personnes rencontrées sont d’origine étrangère ; elles sont 70% en Ille-et-Vilaine dont 30% ont été déboutées. Près de la moitié sont sans aucune ressource financière (contre 13% pour celles de nationalité française) ;
Au niveau national le taux de non-recours au RSA est de 30% chez les personnes rencontrées (50% en Ille-et-Vilaine) ; le non-recours au minimum vieillesse est de 50% ;
Ces chiffres restent élevés dans les zones où il y a France Services. Ces comportements impactent le revenu médian qui est de seulement 515 €/mois (contre 2130€ dans la population) ;
94% des ménages ont un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté (1275€) et 74% sont au-dessous du seuil d’extrême pauvreté (850€). 25,4% des personnes accueillies vivent sans aucune ressource. Des chiffres similaires en France et pour le département bretillien.
Le premier besoin exprimé par les personnes rencontrées est une aide alimentaire (55%), suivi par de l'aide aux démarches administratives (14,8%) et un besoin d'écoute et de conseil (14,2%)
42% des ménages rencontrés sont en situation d'impayés.
En outre, l'accès aux prestations sociales devient un véritable parcours du combattant. La dématérialisation des démarches, les fermetures et l'éloignement géographique des services (guichets), le durcissement des critères d’éligibilité et la complexité des processus d'accès aux droits accentuent de fait l'exclusion. En conséquence, nombre de bénéficiaires deviennent dépendants de leur entourage et le non-recours aux prestations sociales ne cesse de s'accroitre.
Ce non-recours atteint 36 % pour le RSA, soit 10% de plus en 10 ans.
Un chiffre qui choque autant qu'il alarme, qui nous alerte et symbolise à lui seul les enjeux et les impacts du non-recours aux prestations sociales aujourd'hui.
Le problème n’est pas d’avoir dématérialisé les démarches administratives, mais d’avoir oublié ceux dans l’impossibilité de pouvoir déposer un dossier ou de rencontrer une personne pour en discuter.
Dématérialisation progressive des démarches, réductions des effectifs dans les centre sociaux, fermeture et éloignements des guichets physiques, problèmatiques liés à la mobilité... Devant les obstacles que représentent les démarches administratives, leur fonctionnement complexe et parfois opaque, les citoyens se retrouvent souvent démunis ou démotivés. Certains vont jusqu'à renoncer à faire valoir leurs droits, tandis que d'autres en sont empêchés par un manque d'informations ou d'accessibilité.
Si l'absence de recours aux droits relève de phénomènes complexes, il constitue un défi majeur dont le premier constat est manifeste : celui-ci s'amplifie, et nécessitent une analyse approfondie pour y remédier.
C'est dans ce contexte que de nombreuses associations se retrouvent ainsi à jouer un rôle actif et essentiel, en accompagnant les personnes et en mettant en lumière obstacles récurrents et inégalités persistantes; mais aussi des solutions pour chercher à y remedier.
C'est la raison pour laquelle le Secours Catholique a souhaité organisé cette table-ronde. Derrière les constats, il s'agit désormais de réflechir à des solutions pour y rémedier. Les différents partenaires invités à cette table-ronde dressent ainsi des pistes, des idées, des pratiques à défendre et à réhabiliter, des initiatives nouvelles... comme autant de morceaux qui visent à oeuvrer collectivement afin de lutter contre ce non-recours.
MALTRAITANCE INSTITUTIONNELLE
Dans son récent rapport, l'association ATD Quart-Monde, dénonce un phénomène de maltraitance institutionnelle, un "terrible paradoxe d'institutions à la fois aidantes et maltraitantes", qu'elle définie ainsi :
"L’ensemble des traitements inadaptés ou violents liés aux fonctionnements des institutions, portant atteinte aux droits et à la dignité des personnes “
Selon ATD, la pauvreté ne peut s'envisager que comme une situation multi-dimensionelle et systèmique, la maltraitance institutionnelle constituant l'une des branches de celle-ci.
Aujourd’hui ce sont les associations de proximité qui tentent de pallier à ce qu’ATD Quart Monde appelle cette maltraitance institutionnelle, entrainant avec elle des problèmes en spirales : les peurs amplifient aussi les difficultés à faire des démarches. Pour Marie-Christine Garnier, alliée chez ATD Quart-Monde, ces impacts se retrouvent partout et jusqu’à l’école, évoquant notamment le déploiement et les difficultés liés à l’accès à Pronote, ce logiciel de gestion de vie scolaire aujourd'hui incontournable, faisant figure d'interface entre parents, enfants et établissements scolaires.
L’ignorance, la honte, l'incompréhension empêchent aussi la demande d’accès aux bourses ou fonds d’aide sociale. On a aussi observé que les enfants de milieu défavorisé ne se voient pas proposer les mêmes orientations que les autres, sans que leurs parents interviennent.
SI ON S'ALLIAIT, SI ON SE DEFENDAIT, SI ON SE MOBLISAIT...
L'association Si on s’alliait s'active depuis maintenant plusieurs années à mettre en place des actions communautaires, constituant ce qu’elles appellent des "syndicats hors entreprises". Elles informent, mobilisent les voisins pour des actions collectives et citoyennes et initient des négociations avec les décideurs. Leurs actions ont ainsi permis de conserver une antenne de la Sécurité sociale à Villejean, par exemple.
À ces actions collectives s’ajoutent depuis juin 2020 un soutien aux démarches individuelles des particuliers. Une permanence tenue par 30 bénévoles apporte son aide sur la dalle Kennedy pour remplir les dossiers administratifs avec une démarche proactive vers les résidents.
TERRITOIRE ZERO NON RECOURS ET 100% RECOURS : DES DISPOSITIFS D'ALLER VERS
Le parcours d'accès aux droits des personnes est devenu tantôt un labyrinthe complexe, tantôt une jungle de difficultés, le problème semble désormais prendre une dimension systémique et politique.
Loin de condamner les personnes et travailleurs sociaux investis dans ces questions, il convient de saluer les efforts des communes et des institutions au sens large (CAF, France Travail, Carsat…) pour réaffirmer l'importance de l’« aller vers » comme cœur de cette problématique sociale. Ainsi, des expérimentations telles que « Territoire Zéro Non-recours » (Maurepas) ou « 100 % Recours aux droits » (Pipriac, Maurepas) ont été mises en place pour identifier les personnes nécessitant une information sur leurs droits, tout en les aidant dans leurs démarches. Ces initiatives visent à remettre en question les pratiques établies entre partenaires institutionnels, à favoriser une coopération accrue sur des situations complexes, à renforcer leur visibilité, à aller au-devant des usagers, à faciliter les rencontres physiques et à simplifier la prise de rendez-vous.
Ces dispositifs, encore en phase expérimentale, ont pour objectif de repérer, tester et amorcer des pratiques innovantes et efficaces, en vue de leur déploiement et de leur généralisation. Cependant, leur succès repose sur le maintien et l’accroissement des moyens humains et financiers nécessaires à leur mise en œuvre. Or, cela interpelle, à l’heure où les restrictions budgétaires s’intensifient et où le climat d’austérité générale menace de compromettre des initiatives pourtant cruciales pour garantir l’accès aux droits de tous., et en particulier des plus fragiles.
LA MEDIATION NUMERIQUE AU COEUR DES ENJEUX DE L'ACCES DE DROITS.
Que faire désormais dans un monde où la dématérialisation semble nous emmener à marche forcée ? Pour Antoine Potier du Hub Bretagne, les professionnels de la médiation numérique ont vu leur rôle évoluer depuis 2020, lorsque la dématérialisation des services publics s'est généralisée. Ce changement est loin d’être anodin, en raison de la complexité du langage administratif, qui n’est pas le cœur de métier de ces intervenants. L’animation initiale des permanences d’accès au numérique s’est peu à peu transformée en permanences d’accès aux droits.
Si ces permanences se multiplient, leur fréquentation, elle, ne faiblit jamais, révélant en creux la nécessité de repenser leur rôle. Aujourd’hui, des lieux comme les bibliothèques et médiathèques s’affirment comme des espaces-ressources essentiels pour les personnes confrontées à des difficultés d’accès. À cela s’ajoutent les problématiques d’illectronisme, la barrière de la langue et les habituelles complexités administratives.
La dématérialisation, enclenchée sans réelle anticipation des moyens humains nécessaires pour l’accompagner, a conduit à des suppressions de postes dans les services publics, une tendance qui semble se poursuivre inéluctablement. Ce désengagement progressif de l’État a laissé d’autres institutions et associations, initialement non destinées à ces missions, endosser des responsabilités pour garantir des droits pourtant inscrits et garantis par l’État.
L’enjeu devient alors la mutualisation des connaissances et des dispositifs existants, la coopération renforcée entre les acteurs sociaux et, en premier lieu, la formation des professionnels issus d’horizons divers, souvent peu préparés à ces problématiques.
Les associations ne sont pas épargnées par ce rôle, bien au contraire. Les bénévoles, eux aussi, sont de plus en plus sollicités pour pallier les carences des services publics en constituant les dossiers des usagers, en faisant interface entre les personnes et les institutions, en aidant aux démarches jusqu'à aider aux déclarations de ressources. Cela soulève pour les associations des questions cruciales, notamment sur la protection de la vie privée et la gestion des données personnelles, autant de défis supplémentaires pour des structures associatives déjà largement mises à contribution, qui semblent, une nouvelle fois encore, devoir faire barrage entre les manquements de l'état et la protection des plus vulnérables.
Une humanisation de l’accueil et de l’accompagnement des usagers ; la garantie d’une gestion individualisée des situations complexes ; le renforcement des espaces de dialogue, un accès physique aux administrations.
Un socle insaisissable de droits essentiels et universels (panier de soins essentiels, hébergement inconditionnel, droit à une alimentation digne)
La revalorisation du RSA jusqu’à 40% du revenu médian, son indexation sur le SMIC et son ouverture aux jeunes
Le report de la généralisation de la réforme du RSA conditionné aux 15 heures d’activité hebdomadaire
Merci aux intervenants, aux bénévoles, à La Maison de Quartier Villejean ainsi qu'à toutes celles et ceux qui ont rendu cette soirée possible. Rendez-vous l'année prochaine !
Rédaction : Brigitte Servel et Owen Morandeau / Photo : Olivier Melennec et Isabelle Auffray