Migrations : « Le changement climatique pousse les populations à partir »
Alors que le pape François se déplace à Marseille autour des thématiques de la migration et du changement climatique, le constat est sans appel de la part des partenaires internationaux du Secours Catholique : de plus en plus de personnes quittent leurs terres natales à cause des effets du changement climatique. Une étude croisée au Bangladesh, au Honduras et au Sénégal [rapport à télécharger en bas de page] met en lumière la parole des migrants environnementaux, et rappelle la nécessité d’assurer la protection de leurs droits fondamentaux.
Entretien avec Shakirul ISLAM, chercheur et président de l’ONG OKUP, partenaire du Secours Catholique au Bangladesh
Secours Catholique : Vous avez mené votre étude dans l’upazila* de Koyra au Bangladesh et montré que le changement climatique touche des Bangladais qui se voient contraints de partir. Dans quelle mesure le changement climatique entrave les droits fondamentaux de ces individus au Bangladesh ?
Shakirul Islam : Notre pays est très affecté par le changement climatique depuis des décennies et nous remarquons que cela s’intensifie depuis quelques années et que les phénomènes sont de plus en plus récurrents. Nous sommes ainsi confrontés à des cyclones (tels Amphan en 2020 ou Aila en 2009 pour citer deux des plus importants), des inondations mais aussi des sécheresses, et une salinisation des sols en raison de la montée du niveau de la mer.
Tout ceci a des effets dévastateurs sur la vie des Bangladais, en particulier pour les agriculteurs qui sont privés de récoltes. Prenons l’exemple de la saison des pluies censée arriver en juin : de plus en plus souvent, les pluies tombent en août et de manière violente, saccageant les récoltes. De même, les cyclones détruisent les maisons et les parcelles des communautés.
Les personnes les plus démunies n’ont pas les moyens de reconstruire. Soit elles sont contraintes de s’endetter en prenant un crédit, soit elles marient de force leurs jeunes enfants, en particulier les filles (le nombre de mariages forcés est en augmentation dans ce contexte du changement climatique ), soit elles se déplacent pour aller trouver un job ailleurs. Notre étude montre que 70 % des familles rencontrées dans la région ont un membre qui a migré pour trouver une nouvelle source de revenu ailleurs.
S.C. : Justement, parmi ces personnes, vous différenciez ceux qui se déplacent à l’intérieur du pays de ceux qui migrent à l’étranger : en quoi ces deux profils sont confrontés à la pauvreté ?
S. I. : Ceux qui restent au Bangladesh se déplacent vers les zones urbaines, espérant de meilleures conditions de vie. Mais ils manquent de tous les services de base et vivent souvent dans des bidonvilles. Le changement climatique les pousse dans la misère. Ces déplacement internes concernent 84 % des mobilités que nous décrivons.
Ces personnes trouvent alors des postes dans le secteur informel (dans la construction, la conduite de pousse pousse, la collecte des déchets, ou le travail domestique pour les femmes) et ne bénéficient d’aucune protection. Souvent elles travaillent 18 heures par jour, par exemple dans les fours à briques ! Le soir, elles dorment à plusieurs, parfois sur les toits. Elles ont très peu accès à l’hébergement, à l’assainissement, à la santé ou à l’éducation pour leurs enfants. Ce sont des vies indignes !
Certains s’installent définitivement en ville, d’autres s’y déplacent chaque année quelques mois, souvent lors de la saison hivernale, puis reviennent à la campagne le reste du temps, avant de retourner en ville. Résultat : nos villes sont surpeuplées et le gouvernement bangladais n’arrive pas à mettre en place les infrastructures essentielles pour les citadins.
Un autre type de mobilité observé est la migration qui consiste à traverser une frontière, ce qui représente 16 % des cas de notre étude. Cela comporte de nombreux risques. D’après notre étude, les personnes migrantes vont surtout en Inde, le pays voisin, proche géographiquement, mais aussi au Moyen-Orient comme à Oman ou en Arabie Saoudite, ou encore en Malaisie ou à Singapour. Beaucoup envoient ainsi leurs enfants à l’étranger pour obtenir un revenu. Mais ces personnes migrantes se retrouvent victimes de traite humaine, ou bien forcées de travailler avec des salaires de misère souvent dans des conditions inhumaines, ou encore risquent d’être arrêtées par les forces de l’ordre lorsqu’elles se déplacent de manière illégale, c’est-à-dire sans papiers.
S.C. : Le rapport parle de « mobilités environnementales » qui englobent les déplacements et les migrations liés au changement climatique mais aussi à la dégradation de l’environnement par l’homme. Est-ce le cas au Bangladesh ?
S. I. : L’activité humaine qui entraîne des pollutions empire les choses. Au Bangladesh, nous avons remarqué dans notre enquête que beaucoup de ceux qui ne peuvent plus cultiver du riz en raison de la salinité de l’eau se mettent à produire des crevettes en dérivant l’eau salée des rivières vers les fermes. Mais cette activité accroît la salinisation des terres.
Cela dit, le Bangladesh émet moins de 1% des émissions de gaz à effet de serre. La responsabilité historique des émissions de gaz à effet de serre doit être portée par les pays du Nord. En ce sens nous les appelons à prendre les choses en main pour réduire leurs émissions, et s’attaquer aux causes profondes du changement climatique.
S.C. : Le rapport s’intitule « libres de partir, libres de rester » : quelles sont donc vos recommandations ?
S. I. : Comme je viens de le dire, il faut déjà réduire les émissions de gaz à effet de serre pour que les personnes ne soient plus obligées de partir en raison du changement climatique et de la dégradation de l’environnement. Il faut leur garantir leur droit à rester, si c’est ce qu’elles souhaitent ! Personne ne veut quitter sa terre natale ancestrale. Les pays du Nord doivent tout faire pour limiter le réchauffement à +1,5°.
Par ailleurs les pays du monde devraient aussi ouvrir leurs frontières et garantir des voies de migrations sûres et légales, pour permettre aux personnes vulnérables au climat de migrer dans des conditions dignes et respectueuses de leurs droits.
Enfin, au sein des pays du Sud, nos autorités doivent améliorer l’accès aux services de base (santé, assainissement, éducation) dans les villes où arrivent les personnes déplacées, mais aussi fournir une aide d’urgence sociale en cas de catastrophe environnementale pour réduire le nombre de déplacés. Dans tous les cas il faut travailler à protéger les droits des migrants environnementaux.
*subdivision administrative au Bangladesh