Loi immigration : « Il y aura des conséquences graves au-delà des personnes étrangères »
Plus de 400 collectifs, syndicats, partis politiques et organisations associatives, dont le Secours Catholique, appellent à manifester dimanche 21 janvier pour le retrait total de la loi immigration, votée le 19 décembre dernier. L’association met en garde contre les effets désastreux de ce texte, qui viendra précariser des populations en situation de fragilité, complexifier un cadre législatif déjà alambiqué et affaiblir des piliers de notre État de droit.
Entretien avec Aurélie Radisson, responsable de l'accueil et des droits des étrangers au Secours Catholique.
Le Secours Catholique rejoint l'appel à mobilisation pour dénoncer la loi migration et ses conséquences.
Aurélie Radisson : En effet ! Cette marche est destinée à montrer qu’un grand nombre de Français veulent faire honneur aux valeurs républicaines et trouver des solutions dignes. L’accueil des étrangers ne nous fait pas peur et nous avons conscience que cet accueil doit s’organiser. Nous demandons au président de la République de ne pas promulguer la loi.
Quels droits fondamentaux sont fragilisés par la loi immigration ?
A. R. : Le principe d’universalité de l’accès aux prestations, qui est au cœur de notre système de protection sociale et qui permet d’éviter à des membres de la société, peu importe leur situation professionnelle, de basculer dans la pauvreté. C’est ce principe d’universalité qui fonde le socle de notre pacte social et qui nous permet un bien-être collectif.
En restreignant l’accès aux aides sociales aux personnes étrangères en situation régulière sans emploi justifiant d’une résidence de cinq ans en France, au lieu de quelques mois actuellement, ou à celles prouvant une affiliation professionnelle de 30 mois minimum, on va priver des individus de la possibilité de s’insérer durablement sur le territoire dans une période de leur vie où ils ont justement besoin de cette aide. On sait que les premières années de vie en France, les personnes étrangères démarrent de rien, sans appui familial. Donc, pour ne pas commencer une nouvelle vie dans la précarité, c’est particulièrement important de pouvoir accéder aux APL car les loyers sont chers et pour les parents de percevoir des prestations familiales.
Avec cette loi, des personnes vont se retrouver en difficulté pour payer leur loyer, régler leurs factures ou nourrir leurs enfants. Précariser davantage des personnes étrangères en situation régulière et des personnes sans papiers c’est fragiliser l’ensemble de la société.
Par ailleurs, il y a le risque que notre système de protection sociale continue à être détricoté. En effet, si le principe d’universalité est remis en cause pour les personnes étrangères, d’autres populations pourraient à l’avenir se trouver exclues de notre système de protection sociale.
Cette réforme porte atteinte à quels autres droits ?
A. R. : Le droit à vivre en famille, alors même que nous avons signé des traités internationaux reconnaissant ce droit. Avec cette loi, les personnes étrangères et les Français mariés à des personnes étrangères vont devoir attendre plus longtemps pour faire venir leur famille en France. Les conditions de ressources et d’hébergement demandées sont aussi durcies. Quel message envoie-t-on ? Que si on est une personne pauvre on n’a pas le droit de se marier avec qui on veut ? Que l’État français a son mot à dire sur le choix de vie familiale des personnes ?
À travers cette loi, il y a un regard porté sur les personnes en précarité qui nous inquiète. Au Secours Catholique, on rappelle que les personnes en précarité ont toute leur place dans notre société. Et, d’ailleurs, la bonne santé de notre société se mesure à la place qu’on leur laisse et à l’attention qu’on leur porte.
Le Conseil constitutionnel se prononcera le 25 janvier prochain. À quoi faut-il s’attendre ?
A. R. : Quoiqu’il se passe, il y aura un après douloureux. Si le Conseil constitutionnel valide l’ensemble des dispositions, il y aura des conséquences au-delà des personnes étrangères. Des patrons vont avoir du mal à recruter, des particuliers employeurs vont voir la personne qui travaille pour eux encore plus galérer. Cette loi va rajouter de la confusion et de la complexification pour les administrations, les structures qui accompagnent, les employeurs et les personnes étrangères elles-mêmes.
Quelle sortie de crise est possible ?
A. R. : L’enjeu reste de réussir à faire entendre un autre discours sur l’immigration et à ouvrir des espaces de dialogue et d’écoute sur cette question. C’est pourquoi nous appelons toujours à la tenue d’un débat serein pour porter un regard apaisé sur le sujet de l’accueil des personnes étrangères. Une convention citoyenne nous semble être un cadre intéressant qui permet de dépassionner le sujet.
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